vendredi 15 août 2014

The many faces of Captain Jack Sparrow


Récemment sur ce blog, nous parlions de notre cher Lord à perruque poudrée, l'un des grands bad guys de la trilogie Pirates, au travers d'une petite analyse de son (sale) caractère. Aujourd'hui, attaquons-nous un peu à la substantifique moelle, le seul, l'unique, j'ai nommé Captain Jack Sparrow. Comme Beckett, Jack est un personnage complexe et fascinant, surtout lorsqu'on entreprend de creuser un peu sous les apparences pour accéder à toutes les nuances du personnage.

Commençons par une évidence, la première impression de tout spectateur, et ce qui constitue sans doute l'essence première – mais non la seule – du personnage : Jack est un mec rigolo. Il suffit qu'il ouvre la bouche, ou même qu'il se contente d'être présent dans une scène, pour que hop, on se marre. Répliques savoureuses par dizaines, expressions, gestuelle ou attitude générale : Jack Sparrow (enfin, Johnny Depp, puisque c'est bien à lui que Jack doit son succès) crève l'écran. Dès qu'il entre en scène, tous les autres personnages – aussi sympathiques ou intéressants soient-ils – deviennent plus ou moins insipides. 

(La seule exception à cette règle serait justement Cutler Beckett, qui se montre un adversaire tout à fait à la hauteur pour ce qui est des confrontations et des joutes verbales que Jack, d'habitude, remporte toujours haut la main. C'est là que le passé commun des deux protagonistes devient évident – ils se connaissent suffisamment bien, et depuis suffisamment longtemps, pour savoir exactement comment s'y prendre l'un avec l'autre. Je trouve bien dommage que Jack et Beckett ne partagent qu'une seule scène dans toute la trilogie, parce que l'alchimie entre les deux personnages est extrêmement réussie.)

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Jack et Beckett à bord du HMS Endeavour dans At World's End.

D'ailleurs, à l'origine, Jack Sparrow ne devait être que ça : un type marrant. Un personnage secondaire, un élément comique, un faire-valoir du véritable héros du film : Will Turner. Will, le héros disneyien par excellence, sorte de Errol Flynn version 2003 – jeune, beau et courageux, risquant noblement sa vie pour sauver et conquérir sa belle demoiselle en détresse, prisonnière des méchants flibustiers. Dans la première version du scénario, le personnage principal, c'était lui. Il faut dire que Jack, pour sa part, n'a pas tellement le profil du "prince charmant" classique de chez Disney. Jack est un pirate, un criminel, un hors-la-loi. Jack est voleur, menteur et manipulateur, boit beaucoup de rhum et couche avec beaucoup de filles. (Sans parler du fait que Jack est plus maquillé que toutes lesdites filles réunies, qu'il a des dreadlocks et des perles sur la tête et une démarche plus féminine que celle d'Elizabeth Swann dans ses meilleurs jours.)

Mais voilà – Gore Verbinski et son équipe ont été assez intelligents pour non seulement surmonter leurs doutes initiaux à propos des excentricités de Mr. Sparrow, mais également pour décider que le personnage à succès, dans l'affaire, c'était lui. Peu orthodoxe pour un film Disney, certes, mais tellement plus original que le "beau gosse" vu et revu sous toutes ses formes (ceci étant dit, je n'ai strictement rien contre Will, qui est tout aussi nécessaire au film que Jack). Du coup, hop, réécriture complète du scénario, faisant de Jack le (anti-)héros incontesté du film. La suite, on la connaît : le succès est immédiat, Johnny Depp rafle tous les prix, et Jack Sparrow est vite hissé au rang de personnage culte.


Nous avons donc un Jack qui nous fait bien rigoler. Un Jack qui apparaît à première vue comme un personnage roublard, baratineur, sûr de lui et avec un ego un brin surdimentionné. Du moins est-ce sous ce jour-là qu'on le retrouve dans la plupart de ses scènes. Mais ce qui fait de Jack le personnage si génial et si attachant qu'il est, c'est que justement, il n'est pas que ça. Il se comporte bien souvent avec cette espèce de nonchalance, de légèreté et de cynisme comique, mais il y a aussi une vraie personnalité derrière, de vraies nuances, une vraie profondeur. Et ce sont les moments où l'on découvre le "vrai" Jack, celui qui se dissimule derrière sa façade de joyeuse insouciance, qui font toute la richesse du personnage.

Prenons, par exemple, la scène du premier film, The Curse of the Black Pearl, où Jack tue Barbossa – ou il utilise enfin l'unique balle de son pistolet, précieusement conservée pendant dix ans pour assouvir sa vengeance sur son ancien second, responsable de la mutinerie qui lui a coûté son navire. L'attitude de Jack à cet instant précis, voyant Barbossa qui s'écroule après qu'il lui ait tiré une balle dans la poitrine, en dit long sur son personnage. L'expression de son visage est inhabituellement sombre et grave, sans la moindre trace de son habituel détachement, et encore moins d'une quelconque satisfaction. Il n'a visiblement pris aucun plaisir à tuer froidement son ennemi. Il a simplement mis a exécution ce qu'il s'était promis pendant dix ans (oui, Jack Sparrow est quelqu'un de très rancunier...), et on voit clairement qu'il saisait tout le poids d'un tel acte. S'il y a bien une chose que Jack n'est pas, c'est un meurtrier ou quelqu'un de violent.

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Jack tuant Barbossa à la fin de The Curse of the Black Pearl.

Une autre séquence qui me vient à l'esprit est celle du troisième film (At World's End) où Jack, Barbossa et leur équipage découvrent sur une plage le cadavre du Kraken, la monstrueuse bestiole sous-marine de Davy Jones, tuée sur ordre de Beckett. L'occasion pour les deux capitaines de se lancer dans une conversation très sérieuse, et étrangement touchante, à propos de la tournure que prend le monde sous l'emprise grandissante de la East India Trading Company, qui met progressivement fin au règne libertaire des flibustiers dans les Caraïbes. Une fois n'est pas coutume, Jack abandonne son attitude bravache et optimiste, et exprime des regrets et une nostalgie teintés d'amertume. "The world used to be a bigger place", lui dit Barbossa. Ce à quoi il répond : "World's still the same. There's just... less in it."

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Jack et Barbossa devant le cadavre du Kraken dans At World's End.

Parmi les précieuses petites scènes qui permettent au spectateur de découvrir plus en profondeur le caractère de Jack, certaines ont malheureusement été coupées du montage final des différents films. Par exemple, la séquence de The Curse of the Black Pearl où Jack et Elizabeth se retrouvent isolés sur l'île déserte comportait, à l'origine, une scène supplémentaire. Elizabeth vient d'apprendre que Jack s'était précédemment échappé de l'île en marchandant avec des trafiquants de rhum, ce qui ne semble pas vraiment correspondre aux illustres aventures du célèbre pirate telles qu'elles les avait lues dans ses livres. Visiblement déçue et furieuse contre lui, Elizabeth lui demande si les autres histoires, elles, comportaient une part de vérité. Ce à quoi Jack répond en lui montrant, sans aucun commentaire, les diverses cicatrices qu'il porte sur le corps – la marque au fer rouge en forme de 'P' déjà entrevue plus tôt dans le film, d'impressionnantes cicatrices sur l'avant-bras gauche, les marques de deux blessures par balle sur la poitrine. Elizabeth accuse le coup, choquée. "No truth at all", conclut Jack, avec une bonne dose de ressentiment et d'amertume dans la voix.

Cette scène méritait sans nul doute, selon moi, d'être inclue au film – parce qu'elle dévoile une nouvelle facette de la personnalité de Jack, plus sincère, plus sombre aussi, et parce qu'elle montre bien que même si Jack a une imagination débordante lorsqu'il s'agit d'enjoliver ses folles aventures passées, la légende qui l'entoure n'est quand même pas basée que sur du vent. C'est là qu'on réalise, en même temps qu'Elizabeth, qu'il a dû en voir des vertes et des pas mûres au cours de sa carrière de pirate, et ça ajoute une dimension au personnage.

"No truth at all."

Un autre exemple de scène coupée se situe au cours de la confrontation tant attendue de Jack Sparrow et Cutler Beckett dans At World's End, lorsque tous deux se retrouvent à bord du HMS Endeavour, le vaisseau de Beckett. La scène que l'on voit dans le film est une version raccourcie et modifiée du montage original. Dans la version "courte", Beckett fait une très vague allusion au passé commun qui unit les deux hommes, sans qu'on sache exactement de quoi il retourne (la seule information dont dispose le spectateur étant que Beckett est responsable de la marque au fer rouge de Jack). Dans le montage initial, les allusions sont beaucoup plus précises : Beckett rappelle à Jack la raison pour laquelle il l'a marqué au fer rouge (Jack travaillait pour Beckett et était chargé de transporter des esclaves ; au lieu de quoi il les a libérés). Jack répond, d'une voix grave et basse, presque comme pour lui-même : "People aren't cargo, mate." On devine clairement toute la rancœur que ressent Jack vis-à-vis de Beckett à cet instant, et on voit bien qu'il a encore ce passé en travers de la gorge.



Je n'arrive pas à comprendre pourquoi cette scène a été supprimée du montage final. À mon sens, elle est essentielle. Premièrement parce qu'elle apporte, encore une fois, une nouvelle dimension au personnage de Jack, une dimension qu'on ne lui soupçonnait pas : il apparaît ici comme quelqu'un de sincèrement altruiste, désintéressé, prêt à risquer sa propre vie (ou en tous cas sa liberté) pour sauver celle des autres. Certes, on avait déjà pu constater que Jack était un type bien, mais le découvrir à ce point dépourvu d'égocentrisme et agissant dans le seul intérêt d'autrui (alors que d'habitude, il serait prêt à vendre père et mère pour se sortir d'une situation à son avantage), c'est nouveau. Et avec ça, on ne peut que l'aimer encore un peu plus, n'est-ce pas ?

La deuxième raison est que cette séquence constitue la réponse à LA question que se posaient tous les fans depuis qu'ils avaient vu le deuxième film, Dead Man's Chest : mais que diable s'est-il passé entre Jack et Beckett ? Dans Dead Man's Chest, Beckett mentionne la fameuse marque au fer rouge à Will, sans qu'on en connaisse les circonstances ou les raisons. Dans la version cinéma du troisième opus, cette question n'est toujours pas résolue, étant donné que l'histoire des esclaves n'apparaît que dans les bonus du DVD... Ce qui constitue une sérieuse imprécision narrative. Une des leçons élémentaires de l'écriture de scénario est que lorsqu'on ouvre un "chaînon" (une sous-intrigue), il faut impérativement le refermer... Ce qui n'est pas le cas ici, la question restant en suspens. Alors, pourquoi ne pas avoir rallongé At World's End de deux ou trois malheureuses minutes pour apporter une explication aux spectateurs ?

(Ceci étant dit, toute erreur a du bon : c'est ce questionnement autour de la marque au fer rouge et du passé entre Jack et Beckett qui a donné lieu à de nombreux débats sur les forums dédiés à la trilogie, et ce sont ces débats qui, à leur tour, m'ont poussée à résoudre le mystère à ma façon – en écrivant ce qui deviendrait le premier chapitre de Birth of a Pirate... et le début d'une longue aventure littéraire !)

Les scènes analysées ci-dessus ne sont que quelques exemples du développement de la personnalité de Jack Sparrow. Une personnalité plus riche, plus diversifiée et plus complexe que ce qu'il y paraît au premier coup d'œil. Évidemment, Jack est loin d'être un personnage torturé comme peut l'être un Davy Jones ou un James Norrington, mais lui aussi a un côté plus sombre, moins léger et moins insouciant que l'image qu'il veut bien véhiculer autour de lui. Et ce sont précisément ces "failles", pour ainsi dire, qui rendent le personnage aussi attachant.

jeudi 14 août 2014

L'art de la documentation

Aaah, la documentation... Étape essentielle si l'on travaille sur toute fiction un tant soit peu historique. (Or, mon roman Birth of a Pirate a beau être basé sur une trilogie de films qui comporte des messieurs à face de poulpe, des pirates zombies et des malédictions aztèques, il n'en reste pas moins que le cadre spatio-temporel, lui, est réel : l'Europe, l'Afrique et les Caraïbes au début du XVIIIe siècle.)

Lorsque j'ai commencé à écrire, la documentation, je n'en avais pas grand-chose à faire (et encore, ceci est un euphémisme). J'écrivais sans rien connaître de plus que les trois films de Verbinski, et je m'en contentais très bien. Et du coup, sans le savoir, j'agrémentais mon récit de tout un tas de petites (voire grosses) incohérences historiques. Ce n'est qu'en commençant un long travail de relecture quelques années plus tard que je m'en suis rendue compte. Quoi, toute une partie de mon histoire se passe au Ghana alors que le Ghana n'existait pas en 1710 ? Comment ça, la durée d'un voyage entre l'Angleterre et l'Afrique de l'Ouest ne dure pas seulement deux malheureuses semaines ? Ah tiens, les concepts d'antisepsie et d'infection bactérienne n'étaient pas encore connus à cette époque ?

Alors je me suis dit qu'il fallait remédier à tout ça – et j'ai commencé à faire des recherches. Je craignais que ce soit un brin fastidieux (après tout, je n'ai jamais été intéressée par mes cours d'histoire au lycée...), mais en fait, ça m'a plu, et pas qu'un peu. Parce que c'étaient des sujets qui m'intéressaient. J'ai toujours été fascinée par l'univers de la piraterie, je voue une passion sans bornes à la marine ancienne, je suis une grande curieuse de l'histoire de la chirurgie ou de l'évolution du système judiciaire au fil des siècles... Alors quand j'ai parcouru des sites Internet et des bouquins (Google Books et la bibliothèque municipale de ma ville sont mes amis) à la pelle pour glaner des infos, j'ai appris un tas de choses passionnantes. 

J'ai exploré la vie quotidienne des marins à bord des navires à voile, et celle des colons sur les îles des Indes Occidentales. J'ai lu des pages et des pages sur l'organisation de la East India Company, sur les principaux repaires de pirates au XVIIIe siècle ou sur le fonctionnement du commerce triangulaire et de l'esclavage. J'ai appris en détail comment on soignait une blessure par balle dans les années 1700, à quoi ressemblaient les comptoirs britanniques fortifiés sur les côtes africaines, quels étaient les différents grades ou les différents châtiments corporels en usage au sein de la Royal Navy. J'ai étudié en long, en large et en travers des centaines de pages Wikipedia, des dizaines d'extraits de bouquins (d'époque ou non) et de sites spécialisés, des centaines de peintures, de gravures ou d'illustrations qui représentaient la réalité de l'époque.


Évidemment, du coup, j'ai appris un nombre de choses assez conséquent. Au final, à peine 10% du fruit de ces recherches figurera tel quel dans Birth of a Pirate. Ce qui, je l'admets, est assez frustrant. Lorsqu'on maîtrise bien un sujet, on a toujours envie de caser tout ce qu'on sait – mais c'est là le danger de la documentation. On écrit un roman, pas une leçon d'histoire. Il faut arriver à disséminer dans notre histoire un petit détail par-ci par-là, qui donneront une impression globale de "Tiens, cette fille sait de quoi elle parle". Un nom de lieu, la description d'un endroit précis, quelques termes techniques de la marine à voile... Le tout sans tomber dans l'étalage de culture (vous savez ce qu'on dit, c'est comme la confiture... Moins on en a, plus on l'étale). 

En ce moment, je suis en pleine relecture de mon roman, et étant donné que j'ai beaucoup plus de connaissances sur tout un tas de sujets qu'auparavant, je suis toujours tentée de rajouter plein de détails dans chacun de mes chapitres (notamment ceux qui traitent de l'esclavage, puisque leur premier jet manquait franchement de précisions). J'essaye constamment de trouver le juste milieu entre ne rien dire et trop en dire. Pas si simple ! (Quand je lis The Price of Freedom d'Ann Crispin, je me dis régulièrement que l'auteur a sans aucun doute fait de grosses recherches. Et pourtant, elle ne raconte pas grand-chose de purement historique dans son bouquin - mais c'est l'impression qui en ressort, et c'est à ça qu'il faudrait arriver.)

Alors voilà – Birth of a Pirate m'aura permis non seulement de progresser en matière d'écriture, mais m'aura aussi permis de devenir une experte ès piraterie et navigation option XVIIIe. (Maintenant, je n'ai plus qu'à mettre la théorie en pratique en embarquant sur un vieux trois-mâts pour une croisière autour du monde. Ma vie sera alors complète.)